• August Wilhelm von Schlegel to Mathieu Jean Félicité de Montmorency

  • Place of Dispatch: Bern · Place of Destination: Paris · Date: [ca. 1811]
Edition Status: Single collated printed full text with registry labelling
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Mathieu Jean Félicité de Montmorency
  • Place of Dispatch: Bern
  • Place of Destination: Paris
  • Date: [ca. 1811]
  • Notations: Datum sowie Empfangsort erschlossen. – Datierung durch Schlegels Bern-Aufenthalt.
    Printed Text
  • Provider: München, Bayerische Staatsbibliothek
  • Bibliography: Lenormant, Amélie: Coppet et Weimar. Madame de Staël et la Grande-Duchesse Louise. Paris 1862, S. 194–202.
  • Incipit: „Berne.
    . . . . . . . . . . . . . . .
    Je n’ai jamais voulu dire que les [...]“
    Language
  • French
Berne.
. . . . . . . . . . . . . . .
Je n’ai jamais voulu dire que les occupations littéraires fussent pour moi un obstacle qui m’empêchât d’avancer dans la voie de la vérité et de la vie, et je ne crois pas qu’elles le soient. Des travaux pressés auxquels je me suis engagé et que je dois achever, comme il faut payer une dette au terme fixé, ont pu retarder des études régulières et approfondies que je me proposais depuis longtemps de faire sur les saintes Écritures, sur l’histoire de la religion et sur les auteurs religieux les plus importants, surtout ceux des premiers siècles où la tradition reçue de Jésus-Christ était encore toute vivante: c’est là seulement ce que j’ai voulu dire. Au contraire, je dois beaucoup aux occupations littéraires, que j’ai depuis longtemps considérées comme ma vocation naturelle, comme mon état. De bonne heure, ces occupations m’ont détourné du goût des plaisirs vulgaires; elles m’ont calmé sur les intérêts de ce monde, en m’ouvrant une source de jouissances innocentes et indépendantes de la fortune.
Enfin, depuis que mes yeux se sont rouverts aux lumières divines, après que j’eus échappé à l’influence desséchante de ce siècle, je n’ai plus vu dans la philosophie qu’un guide qui nous conduit vers la porte du sanctuaire, en écartant les illusions et les erreurs importunes, et en nous habituant à ne considérer comme réel que ce qui est invisible; je n’ai plus vu dans la poésie et dans les beaux-arts qu’un reflet de la beauté céleste, une faible image de la perfection du monde primitif avant que la corruption l’eût défiguré et en eût détruit la ravissante harmonie.
Je suis habitué à une grande activité d’esprit et d’imagination. Si je voulais imposer silence à ces facultés, leur développement me deviendrait funeste. Il faut que je me fasse un allié de la pensée; si je ne l’emploie pas au service de la foi, elle se tournera contre la foi même et me rejettera dans ce triste état de doute, dont je suis à peine sorti. — La méditation des vérités les plus hautes et peut-être les plus inaccessibles est donc pour moi un besoin impérieux, et c’est plutôt pour mon propre profit que pour celui des autres que je projette un ouvrage qui contiendra ma contemplation religieuse de la nature et de l’homme; en tâchant de convaincre mes lecteurs, je m’affirmerai moi-même dans le vrai.
C’est ce même besoin qui rend pour moi quelques écrivains, appelés théosophiques, presque plus importants encore que ceux qui ont le mieux développé la religion du cœur.
. . . . . . . . . . . . . . .
Je n’ai pris aucune résolution décidée à l’égard de mon ancien projet de rentrer dans le sein de l’Église. Cependant j’ai eu des appels si forts et si réitérés, que je me reproche presque d’y résister par des motifs purement humains. D’abord, quelques grands génies qui se sont consacrés à glorifier l’Église par des poëmes et des ouvrages de l’art m’ont fait apercevoir la splendeur divine de ce majestueux édifice; une jeune personne que je chérissais de toute mon âme a été, pour ainsi dire, par ses funérailles, reçue dans le sein de cette Église à laquelle elle n’appartenait pas pendant sa vie; dans la douleur de sa perte, la plus déchirante que j’aie jamais éprouvée, j’ai trouvé les premières consolations dans des temples catholiques. En me prosternant devant la chapelle de Notre-Dame-des-Ermites, où tant de pauvres pèlerins cherchent un recours, j’ai senti distinctement une voix intérieure qui m’appelait à elle; mon frère et plusieurs amis respectables ont franchi le passage, et je me réunirai plus étroitement à eux en suivant leur exemple. Enfin, je ne puis assister à aucune cérémonie, ni même entrer dans les temples consacrés à ce culte, sans être saisi de ce magisme religieux qui les remplit, comme dit un écrivain profond. – Je suis bien éloigné de confondre le culte extérieur avec celui de l’âme, dont il n’est que le type; mais je considère le premier comme un moyen puissant d’éveiller les dispositions saintes que le culte intérieur exige. L’enceinte d’un lieu sanctifié est la meilleure barrière entre nous et les passions mondaines; les genoux fléchis dans la prière sont l’emblème de l’humilité et de la contrition; mais ils contribuent aussi à faire naître en nous ces sentiments; l’eau sacrée dont on s’asperge ne peut pas, par sa propre vertu, nous purifier, mais elle nous rappelle nos souillures, et le signe de la croix est, pour ainsi dire, la boussole visible de notre salut.
Comme le culte des protestants ne répond pas à mon cœur, que je ne vois dans le ministre qu’un individu qui, le plus souvent, dit des choses médiocres sur des vérités sublimes, ou qui même se permet d’expliquer la révélation dans le sens de ses opinions particulières, je reste par là totalement privé des bénédictions du culte célébré dans la communion des fidèles.
Ce que l’on se prescrit à soi-même est toujours moins bien sanctionné que ce qu’une volonté supérieure nous prescrit, et, quelque besoin que j’aie d’un régime spirituel qui puisse écarter de moi les distractions du monde, je n’ai encore pu parvenir à m’en former un.
Cependant, je vous le répète, je n’ai point pris de résolution fixe, et je me laisse aller au gré de la Providence. Croyez-vous que d’être né dans de certaines circonstances soit un signe certain de ses intentions que nous devions y rester? Cet argument pourrait mener loin. Les païens vertueux qui croyaient aux dieux tutélaires de leur patrie auraient pu l’employer contre leur conversion au christianisme.
Je suis convaincu que le temps approche où tous les chrétiens se réuniront de nouveau autour des anciennes et vénérables bannières de la foi. L’œuvre de la Réformation est terminée; ce qu’elle peut avoir eu de bon est suffisamment assuré: à quoi servirait désormais la séparation au lieu de l’union qui convient aux chrétiens? L’orgueil de la raison humaine, qui dès le commencement a été un puissant mobile clans les réformateurs, et encore plus dans leurs successeurs, nous a si mal guidés, surtout pendant le dernier siècle, qu’il s’est confondu lui-même et réduit au néant. Ne serait-ce pas bien fait à ceux qui peuvent avoir une influence quelconque sur l’esprit de leurs contemporains, de l’abjurer publiquement et de hâter par là l’époque désirée du retour à l’union primitive de l’Eglise universelle?
Je respecte infiniment les œuvres de Mme Guyon; c’est une source vivante d’amour et de foi; j’en ai lu beaucoup de morceaux l’hiver dernier et je possède plusieurs de ses écrits. Cependant, en cela comme dans tout le reste, vous tenez assurément à l’esprit et non pas à la lettre. L’essentiel et le difficile, ce n’est pas de lire les œuvres de Mme Guyon et d’imprimer ses paroles dans la mémoire, mais d’appliquer à soi les expériences qu’elle communique, de tourner son âme vers Dieu, de s’unir à lui et d’entendre sa voix dans le silence du recueillement. Je dirai que si j’avais toujours sous les yeux un exemple tel que le vôtre, ce serait là pour moi la quintessence des œuvres de Mme Guyon.
Si vous êtes convaincu qu’entre le médiateur universel du genre humain et ses interprètes, les écrivains de la nouvelle alliance, Dieu envoie de temps en temps sur la terre des personnes douées d’inspirations et de hautes lumières pour servir de guides dans les voies spirituelles aux individus selon leurs besoins divers, vous admettrez aussi qu’il peut y avoir des choix différents et pourtant également bons; que chacun doit chercher ce qui est le plus analogue à sa manière d’être et ce qu’il s’approprie le mieux. Mme de Staël, par exemple, se sent beaucoup d’attrait pour les œuvres de Fénelon et les lit constamment. Pour moi, j’ai trouvé des impulsions puissantes et un grand affermissement dans la foi dans les œuvres de Saint-Martin1, à cause des besoins que j’ai de joindre la contemplation à la prière. D’autres pourront retirer le même fruit d’écrits beaucoup moins célèbres encore. Enfin si tous les livres qui traitent de la religion intérieure ne sont qu’un développement de la révélation, comme vous en convenez, on pourra, une fois remis sur la voie, retrouver dans les saintes Écritures mêmes tout ce que ces livres contiennent d’essentiel.

1 Le Philosophe inconnu.
Berne.
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Je n’ai jamais voulu dire que les occupations littéraires fussent pour moi un obstacle qui m’empêchât d’avancer dans la voie de la vérité et de la vie, et je ne crois pas qu’elles le soient. Des travaux pressés auxquels je me suis engagé et que je dois achever, comme il faut payer une dette au terme fixé, ont pu retarder des études régulières et approfondies que je me proposais depuis longtemps de faire sur les saintes Écritures, sur l’histoire de la religion et sur les auteurs religieux les plus importants, surtout ceux des premiers siècles où la tradition reçue de Jésus-Christ était encore toute vivante: c’est là seulement ce que j’ai voulu dire. Au contraire, je dois beaucoup aux occupations littéraires, que j’ai depuis longtemps considérées comme ma vocation naturelle, comme mon état. De bonne heure, ces occupations m’ont détourné du goût des plaisirs vulgaires; elles m’ont calmé sur les intérêts de ce monde, en m’ouvrant une source de jouissances innocentes et indépendantes de la fortune.
Enfin, depuis que mes yeux se sont rouverts aux lumières divines, après que j’eus échappé à l’influence desséchante de ce siècle, je n’ai plus vu dans la philosophie qu’un guide qui nous conduit vers la porte du sanctuaire, en écartant les illusions et les erreurs importunes, et en nous habituant à ne considérer comme réel que ce qui est invisible; je n’ai plus vu dans la poésie et dans les beaux-arts qu’un reflet de la beauté céleste, une faible image de la perfection du monde primitif avant que la corruption l’eût défiguré et en eût détruit la ravissante harmonie.
Je suis habitué à une grande activité d’esprit et d’imagination. Si je voulais imposer silence à ces facultés, leur développement me deviendrait funeste. Il faut que je me fasse un allié de la pensée; si je ne l’emploie pas au service de la foi, elle se tournera contre la foi même et me rejettera dans ce triste état de doute, dont je suis à peine sorti. — La méditation des vérités les plus hautes et peut-être les plus inaccessibles est donc pour moi un besoin impérieux, et c’est plutôt pour mon propre profit que pour celui des autres que je projette un ouvrage qui contiendra ma contemplation religieuse de la nature et de l’homme; en tâchant de convaincre mes lecteurs, je m’affirmerai moi-même dans le vrai.
C’est ce même besoin qui rend pour moi quelques écrivains, appelés théosophiques, presque plus importants encore que ceux qui ont le mieux développé la religion du cœur.
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Je n’ai pris aucune résolution décidée à l’égard de mon ancien projet de rentrer dans le sein de l’Église. Cependant j’ai eu des appels si forts et si réitérés, que je me reproche presque d’y résister par des motifs purement humains. D’abord, quelques grands génies qui se sont consacrés à glorifier l’Église par des poëmes et des ouvrages de l’art m’ont fait apercevoir la splendeur divine de ce majestueux édifice; une jeune personne que je chérissais de toute mon âme a été, pour ainsi dire, par ses funérailles, reçue dans le sein de cette Église à laquelle elle n’appartenait pas pendant sa vie; dans la douleur de sa perte, la plus déchirante que j’aie jamais éprouvée, j’ai trouvé les premières consolations dans des temples catholiques. En me prosternant devant la chapelle de Notre-Dame-des-Ermites, où tant de pauvres pèlerins cherchent un recours, j’ai senti distinctement une voix intérieure qui m’appelait à elle; mon frère et plusieurs amis respectables ont franchi le passage, et je me réunirai plus étroitement à eux en suivant leur exemple. Enfin, je ne puis assister à aucune cérémonie, ni même entrer dans les temples consacrés à ce culte, sans être saisi de ce magisme religieux qui les remplit, comme dit un écrivain profond. – Je suis bien éloigné de confondre le culte extérieur avec celui de l’âme, dont il n’est que le type; mais je considère le premier comme un moyen puissant d’éveiller les dispositions saintes que le culte intérieur exige. L’enceinte d’un lieu sanctifié est la meilleure barrière entre nous et les passions mondaines; les genoux fléchis dans la prière sont l’emblème de l’humilité et de la contrition; mais ils contribuent aussi à faire naître en nous ces sentiments; l’eau sacrée dont on s’asperge ne peut pas, par sa propre vertu, nous purifier, mais elle nous rappelle nos souillures, et le signe de la croix est, pour ainsi dire, la boussole visible de notre salut.
Comme le culte des protestants ne répond pas à mon cœur, que je ne vois dans le ministre qu’un individu qui, le plus souvent, dit des choses médiocres sur des vérités sublimes, ou qui même se permet d’expliquer la révélation dans le sens de ses opinions particulières, je reste par là totalement privé des bénédictions du culte célébré dans la communion des fidèles.
Ce que l’on se prescrit à soi-même est toujours moins bien sanctionné que ce qu’une volonté supérieure nous prescrit, et, quelque besoin que j’aie d’un régime spirituel qui puisse écarter de moi les distractions du monde, je n’ai encore pu parvenir à m’en former un.
Cependant, je vous le répète, je n’ai point pris de résolution fixe, et je me laisse aller au gré de la Providence. Croyez-vous que d’être né dans de certaines circonstances soit un signe certain de ses intentions que nous devions y rester? Cet argument pourrait mener loin. Les païens vertueux qui croyaient aux dieux tutélaires de leur patrie auraient pu l’employer contre leur conversion au christianisme.
Je suis convaincu que le temps approche où tous les chrétiens se réuniront de nouveau autour des anciennes et vénérables bannières de la foi. L’œuvre de la Réformation est terminée; ce qu’elle peut avoir eu de bon est suffisamment assuré: à quoi servirait désormais la séparation au lieu de l’union qui convient aux chrétiens? L’orgueil de la raison humaine, qui dès le commencement a été un puissant mobile clans les réformateurs, et encore plus dans leurs successeurs, nous a si mal guidés, surtout pendant le dernier siècle, qu’il s’est confondu lui-même et réduit au néant. Ne serait-ce pas bien fait à ceux qui peuvent avoir une influence quelconque sur l’esprit de leurs contemporains, de l’abjurer publiquement et de hâter par là l’époque désirée du retour à l’union primitive de l’Eglise universelle?
Je respecte infiniment les œuvres de Mme Guyon; c’est une source vivante d’amour et de foi; j’en ai lu beaucoup de morceaux l’hiver dernier et je possède plusieurs de ses écrits. Cependant, en cela comme dans tout le reste, vous tenez assurément à l’esprit et non pas à la lettre. L’essentiel et le difficile, ce n’est pas de lire les œuvres de Mme Guyon et d’imprimer ses paroles dans la mémoire, mais d’appliquer à soi les expériences qu’elle communique, de tourner son âme vers Dieu, de s’unir à lui et d’entendre sa voix dans le silence du recueillement. Je dirai que si j’avais toujours sous les yeux un exemple tel que le vôtre, ce serait là pour moi la quintessence des œuvres de Mme Guyon.
Si vous êtes convaincu qu’entre le médiateur universel du genre humain et ses interprètes, les écrivains de la nouvelle alliance, Dieu envoie de temps en temps sur la terre des personnes douées d’inspirations et de hautes lumières pour servir de guides dans les voies spirituelles aux individus selon leurs besoins divers, vous admettrez aussi qu’il peut y avoir des choix différents et pourtant également bons; que chacun doit chercher ce qui est le plus analogue à sa manière d’être et ce qu’il s’approprie le mieux. Mme de Staël, par exemple, se sent beaucoup d’attrait pour les œuvres de Fénelon et les lit constamment. Pour moi, j’ai trouvé des impulsions puissantes et un grand affermissement dans la foi dans les œuvres de Saint-Martin1, à cause des besoins que j’ai de joindre la contemplation à la prière. D’autres pourront retirer le même fruit d’écrits beaucoup moins célèbres encore. Enfin si tous les livres qui traitent de la religion intérieure ne sont qu’un développement de la révélation, comme vous en convenez, on pourra, une fois remis sur la voie, retrouver dans les saintes Écritures mêmes tout ce que ces livres contiennent d’essentiel.

1 Le Philosophe inconnu.
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