• August Wilhelm von Schlegel to Guillaume Favre

  • Place of Dispatch: Coppet · Place of Destination: Genf · Date: 20.05.1815
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
    Metadata Concerning Header
  • Sender: August Wilhelm von Schlegel
  • Recipient: Guillaume Favre
  • Place of Dispatch: Coppet
  • Place of Destination: Genf
  • Date: 20.05.1815
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Bibliography: Adert, Jules: Mélanges dʼhistoire littéraire par Guillaume Favre. Avec des lettres inédites dʼAuguste-Guillaume Schlegel et dʼAngelo Mai. Bd. 1. Genf 1856, S. LXXXV‒LXXXVI.
  • Incipit: „[1] Coppet, 20 mai 1815.
    Jʼétais chez vous, Monsieur, lundi dernier, mais vous étiez à votre belle campagne. Jʼaurais voulu arriver plutôt [...]“
    Manuscript
  • Provider: Genf, Bibliothèque de Genève
  • Classification Number: Ms. suppl. 968, f. 37r-38v
  • Number of Pages: 2 S., hs. m. U.
    Language
  • French
[1] Coppet, 20 mai 1815.
Jʼétais chez vous, Monsieur, lundi dernier, mais vous étiez à votre belle campagne. Jʼaurais voulu arriver plutôt pour vous accompagner.
Je suis charmé que vous soyez content de mon morceau sur lʼétymologie; il est bien difficile dʼécrire dʼune manière animée sur un pareil sujet, et dʼéviter lʼennui et la pédanterie. Cʼétait un écrit projeté pour un temps de calme. Jʼavais lʼintention maligne dʼapprendre à lʼAcadémie Française une quantité de chose quʼelle ignore, et je voulais très-poliment lui adresser ce petit ouvrage. A présent, je nʼai point de motif dʼécrire pour le public français, qui est entièrement absorbé par les événements et les divisions intestines. Dʼailleurs, jʼétais bien mieux placé à Paris sous le rapport des livres. Y a-t-il seulement à Genève toutes les absurdités celtiques et bas-bretonnes dont il faut faire justice?
Je suis très-curieux de voir le manuscrit dont vous me parlez. Sans doute on écrivait encore dans le sixième siècle beaucoup sur du papyrus dans tout lʼOccident. Rien ne sʼoppose à ce que le Codex Argenteus ait été écrit dans [2] le midi de la France, puisque les Goths y ont dominé si longtemps. Je penche à croire quʼon a beaucoup, amis beaucoup écrit en langue gothique. Outre lʼoubli de cette langue, une autre cause encore nous a probablement privés de ces monuments, je veux dire lʼintolérance. Une multitude de livres ariens a été brûlée. Des prêtres, Goths dʼorigine, auront écrit en faveur de leur doctrine. Grégoire de Tours raconte une longue dispute quʼil eut avec lʼun dʼeux. Si les Goths ariens ne se servaient pas de la Vulgate, mais dʼune traduction de lʼÉcriture sainte dans leur langue, il doit en avoir existé un grand nombre dʼexemplaires. Quelques savants pensent que le Codex Argenteus a appartenu à Alaric II, et quʼil a été pris dans le sac du Toulouse. Il est question, en effet, de beaucoup de volumes consacrés au culte quʼon trouva parmi le butin. Mais on nʼaura guère respecté des livres qui sentaient lʼarianisme, et lʼon aura seulement conservé les couvertures précieuses. Je conjecture que cʼest la reine Brunehault qui a apporté le Codex Argenteus en Austrasie. En venant dʼEspagne, elle était encore arienne et magnifiquement dotée de [3] toutes les façons; elle aura eu aussi un bel Évangile pour sa dévotion.
Les Normands établis en France ont très-vite oublié leur langue, parce quʼils nʼavaient point amené de femmes avec eux. Mais à Bayeux ils trouvèrent une colonie de Saxons, dont le dialecte se rapprochait beaucoup du danois. Cʼest cette circonstance qui explique le passage que vous citez.
Il existe en Angleterre des manuscrits runiques ou entremêlés de runes; mais il sʼagit de savoir sʼils sont antérieurs ou postérieurs à la conquête des Danois. M. Thorkelin, savant irlandais, vient de publier à Copenhague un grand poëme anglo-saxon, dʼaprès un manuscrit quʼil a copié en Angleterre, et qui, selon lui, remonte au moins au dixième siècle. Il mʼen a fait promettre un exemplaire. Cette découverte doit jeter un grand jour sur les antiquités du Nord.
M. Langlès mʼannonce les nombreux travaux des Anglais sur les langues indiennes quʼil vient de recevoir. Dieu veuille que le temps revienne bientôt où lʼon pourra sʼoccuper à loisir de toutes ces études paisibles! Le monde aurait bien besoin de repos. Cʼest lʼineptie dʼun côté, et [4] lʼambition et la cupidité de lʼautre qui nous en ont privés. Jʼespère quʼà lʼavenir on peindra le diable avec des épaulettes sous la forme dʼun général de troupes de ligue, et quʼon ne voudra plus que des citoyens armés pour la défense de leur patrie.
Je souhaite dʼautant plus de vous revoir ici, que ce sera une preuve que la santé de Madame votre mère va mieux.
Tout à vous,
SCHLEGEL.
[1] Coppet, 20 mai 1815.
Jʼétais chez vous, Monsieur, lundi dernier, mais vous étiez à votre belle campagne. Jʼaurais voulu arriver plutôt pour vous accompagner.
Je suis charmé que vous soyez content de mon morceau sur lʼétymologie; il est bien difficile dʼécrire dʼune manière animée sur un pareil sujet, et dʼéviter lʼennui et la pédanterie. Cʼétait un écrit projeté pour un temps de calme. Jʼavais lʼintention maligne dʼapprendre à lʼAcadémie Française une quantité de chose quʼelle ignore, et je voulais très-poliment lui adresser ce petit ouvrage. A présent, je nʼai point de motif dʼécrire pour le public français, qui est entièrement absorbé par les événements et les divisions intestines. Dʼailleurs, jʼétais bien mieux placé à Paris sous le rapport des livres. Y a-t-il seulement à Genève toutes les absurdités celtiques et bas-bretonnes dont il faut faire justice?
Je suis très-curieux de voir le manuscrit dont vous me parlez. Sans doute on écrivait encore dans le sixième siècle beaucoup sur du papyrus dans tout lʼOccident. Rien ne sʼoppose à ce que le Codex Argenteus ait été écrit dans [2] le midi de la France, puisque les Goths y ont dominé si longtemps. Je penche à croire quʼon a beaucoup, amis beaucoup écrit en langue gothique. Outre lʼoubli de cette langue, une autre cause encore nous a probablement privés de ces monuments, je veux dire lʼintolérance. Une multitude de livres ariens a été brûlée. Des prêtres, Goths dʼorigine, auront écrit en faveur de leur doctrine. Grégoire de Tours raconte une longue dispute quʼil eut avec lʼun dʼeux. Si les Goths ariens ne se servaient pas de la Vulgate, mais dʼune traduction de lʼÉcriture sainte dans leur langue, il doit en avoir existé un grand nombre dʼexemplaires. Quelques savants pensent que le Codex Argenteus a appartenu à Alaric II, et quʼil a été pris dans le sac du Toulouse. Il est question, en effet, de beaucoup de volumes consacrés au culte quʼon trouva parmi le butin. Mais on nʼaura guère respecté des livres qui sentaient lʼarianisme, et lʼon aura seulement conservé les couvertures précieuses. Je conjecture que cʼest la reine Brunehault qui a apporté le Codex Argenteus en Austrasie. En venant dʼEspagne, elle était encore arienne et magnifiquement dotée de [3] toutes les façons; elle aura eu aussi un bel Évangile pour sa dévotion.
Les Normands établis en France ont très-vite oublié leur langue, parce quʼils nʼavaient point amené de femmes avec eux. Mais à Bayeux ils trouvèrent une colonie de Saxons, dont le dialecte se rapprochait beaucoup du danois. Cʼest cette circonstance qui explique le passage que vous citez.
Il existe en Angleterre des manuscrits runiques ou entremêlés de runes; mais il sʼagit de savoir sʼils sont antérieurs ou postérieurs à la conquête des Danois. M. Thorkelin, savant irlandais, vient de publier à Copenhague un grand poëme anglo-saxon, dʼaprès un manuscrit quʼil a copié en Angleterre, et qui, selon lui, remonte au moins au dixième siècle. Il mʼen a fait promettre un exemplaire. Cette découverte doit jeter un grand jour sur les antiquités du Nord.
M. Langlès mʼannonce les nombreux travaux des Anglais sur les langues indiennes quʼil vient de recevoir. Dieu veuille que le temps revienne bientôt où lʼon pourra sʼoccuper à loisir de toutes ces études paisibles! Le monde aurait bien besoin de repos. Cʼest lʼineptie dʼun côté, et [4] lʼambition et la cupidité de lʼautre qui nous en ont privés. Jʼespère quʼà lʼavenir on peindra le diable avec des épaulettes sous la forme dʼun général de troupes de ligue, et quʼon ne voudra plus que des citoyens armés pour la défense de leur patrie.
Je souhaite dʼautant plus de vous revoir ici, que ce sera une preuve que la santé de Madame votre mère va mieux.
Tout à vous,
SCHLEGEL.
×
×