• Albert de Broglie to August Wilhelm von Schlegel

  • Place of Dispatch: Paris · Place of Destination: Bonn · Date: 20. Februar [1841]
Edition Status: Newly transcribed and labelled; double collated
    Metadata Concerning Header
  • Sender: Albert de Broglie
  • Recipient: August Wilhelm von Schlegel
  • Place of Dispatch: Paris
  • Place of Destination: Bonn
  • Date: 20. Februar [1841]
  • Notations: Empfangsort sowie Datum (Jahr) erschlossen. − Datierung durch Notiz des Empfängers
    Manuscript
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: DE-611-38973
  • Classification Number: Mscr.Dresd.e.90,XIX,Bd.4(3),Nr.18
  • Number of Pages: 4 S. auf Doppelbl., hs. m. Paraphe
  • Format: 20,8 x 13,5 cm
  • Incipit: „[1] Paris, Samedi 20 Février 1841.
    Vous avez fait beaucoup d’honneur, Monsieur aux misérables produits de la Civilisation française en leur [...]“
    Language
  • French
    Editors
  • Golyschkin, Ruth
  • Steffes, Franziska
[1] Paris, Samedi 20 Février 1841.
Vous avez fait beaucoup d’honneur, Monsieur aux misérables produits de la Civilisation française en leur faisant partager le mauvais sort que vos plaisanteries réservent à leur patrie. Nous trouvons très bien qu’on plaisante, sur les bords du Rhin, sur les fortifications de
Paris, moyennant que vous nous permettiez de rire aussi, la première fois que vous nous aviez hébergé de votre aimable hospitalité, et que nous passerons en vous quittant sous les murailles d’Ehrenbreitstein. Je me souviens qu’en allant les visiter, il y a six ans on avait grande attention de cacher les cotes foibles, au regard des étrangers. Nous serons plus généreux, et quand vous voudrez enfin nous faire la générosité de venir nous voir, nous vous ferons faire à cheval, si vous voulez, le tour des quatorze lieues d’enceinte continue.
Les saucissons n’étaient surement ni aussi nourrissants que votre correspondance, ni aussi fréquents que vos plaisanteries. Je suis donc, de tout point, endetté
[2] avec vous, et malheureusement je n’ai pas de pièces ni tragique ni romantique à vous envoyer. L’état des dito malheureux saucissons a pu vous paraitre un embleme vivant de l’état de ceux qui vous les envoyent. Nous sommes tous gros et gras à leur image; et chacun de nous voudrait faire le même voyage. Je sais bon gré à votre commissionnaire d’appartenir à la religion d’Israël, puisque cela lui fournit l’occasion de se demettre pour moi d’une partie de ses fonctions: mais je trouve sa conscience délicate. M. Fould, notre seul député Israélite, est bien plus empreint de l’esprit du siècle: je ne sais si vous avez lu le morceau éloquent qu’il a fait l’autre jour à la tribune, et où il est venu dire à propos d’une loi pour l’observation du Dimanche, que les amateurs de la liberté des Cultes n’avaient qu’à se tenir en repos, et que les Juifs feraient bien leur sabbat le Dimanche tout de même. C’était vraiment l’abomination de la désolation dont parle le prophète Daniel. Vous voyez que la France peut etre unanime sur les saucissons comme sur sa défense nationale: aussi votre projet d’approvisionnements mériterait d’etre [3] envoyé a la commission dont mon père fait partie. M. Rothschild, qui a peut etre les scrupules plus éveillés que M. Fould, bien qu’il donne des bals tous les Samedis soirs, le trouverait peut etre mauvais. Il est vrai qu’il est d’une opposition furieuse, et qu’il entre en rage, au seul nom des fortifications de Paris. M. le duc d’Orléans l’a arrêté l’autre jour au bal des Tuileries, et lui a demandé: Baron, quand vous sortez fermez vous votre caisse – Oui, sans doute – Trouvez donc bon aussi que je ferme la mienne. C’était parler en digne héritier de Louis XIV.
Votre admirable formule d’abjuration a le mérite de la franchise, et de la netteté d’expression: mais c’est ici qu’il est permis a tout le monde de vous accuser de plagiat. Après dix ans de révolution, vous n’êtes pas le seul qui ait pris le parti d’abjurer. Personne ne l’a fait par des motifs aussi elevés, et sur des considérants aussi forts. Ne craignez vous pas qu’un philosophe qui dégage ainsi les hommes de la foi a la philosophie, n’encourage singulièrement
[4] les convictions qu’un bureau de tabac ébranle, et, qu’émeuvent les arguments irrésistitibles d’une perception de droits réunis! M. le Maréchal président du Conseil dans les beaux temps de sa gloire militaire, ou il comptait ses tableaux et ses exploits qui s’augmentaient de jour en jour, disait volontiers aux jeunes officiers qui se laissaient prendre à faire en secret ce qu’il faisait sur la grande échelle: C’est des choses que quand on les fait, qu’il ne faut pas les dire. J’affectionne cette phrase qui a toute l’energie d’un langage échappé aux règles de cette académie que vous maudissez: et je suis tenté d’écrire au dehors de votre telle formule d’abjuration: C’est des choses que quand on les pense, qu’il ne faut pas les dire. Aussi je l’ai serré précieusement dans mon tiroir, au milieu de cette collection qui, grace à votre bonté, et à dix ans de votre bienveillance devient aussi nombreuse qu’elle est variée et curieuse.
J’aurais trop long temps à écrire, si je voulais répondre à tous vos aimables envois: vous avez trouvé le seul moyen dont je puisse m’acquitter.
Lisez en, usez de [1] moi, et croyez à ma reconnaissance dévouée.
A. B.
[1] Paris, Samedi 20 Février 1841.
Vous avez fait beaucoup d’honneur, Monsieur aux misérables produits de la Civilisation française en leur faisant partager le mauvais sort que vos plaisanteries réservent à leur patrie. Nous trouvons très bien qu’on plaisante, sur les bords du Rhin, sur les fortifications de
Paris, moyennant que vous nous permettiez de rire aussi, la première fois que vous nous aviez hébergé de votre aimable hospitalité, et que nous passerons en vous quittant sous les murailles d’Ehrenbreitstein. Je me souviens qu’en allant les visiter, il y a six ans on avait grande attention de cacher les cotes foibles, au regard des étrangers. Nous serons plus généreux, et quand vous voudrez enfin nous faire la générosité de venir nous voir, nous vous ferons faire à cheval, si vous voulez, le tour des quatorze lieues d’enceinte continue.
Les saucissons n’étaient surement ni aussi nourrissants que votre correspondance, ni aussi fréquents que vos plaisanteries. Je suis donc, de tout point, endetté
[2] avec vous, et malheureusement je n’ai pas de pièces ni tragique ni romantique à vous envoyer. L’état des dito malheureux saucissons a pu vous paraitre un embleme vivant de l’état de ceux qui vous les envoyent. Nous sommes tous gros et gras à leur image; et chacun de nous voudrait faire le même voyage. Je sais bon gré à votre commissionnaire d’appartenir à la religion d’Israël, puisque cela lui fournit l’occasion de se demettre pour moi d’une partie de ses fonctions: mais je trouve sa conscience délicate. M. Fould, notre seul député Israélite, est bien plus empreint de l’esprit du siècle: je ne sais si vous avez lu le morceau éloquent qu’il a fait l’autre jour à la tribune, et où il est venu dire à propos d’une loi pour l’observation du Dimanche, que les amateurs de la liberté des Cultes n’avaient qu’à se tenir en repos, et que les Juifs feraient bien leur sabbat le Dimanche tout de même. C’était vraiment l’abomination de la désolation dont parle le prophète Daniel. Vous voyez que la France peut etre unanime sur les saucissons comme sur sa défense nationale: aussi votre projet d’approvisionnements mériterait d’etre [3] envoyé a la commission dont mon père fait partie. M. Rothschild, qui a peut etre les scrupules plus éveillés que M. Fould, bien qu’il donne des bals tous les Samedis soirs, le trouverait peut etre mauvais. Il est vrai qu’il est d’une opposition furieuse, et qu’il entre en rage, au seul nom des fortifications de Paris. M. le duc d’Orléans l’a arrêté l’autre jour au bal des Tuileries, et lui a demandé: Baron, quand vous sortez fermez vous votre caisse – Oui, sans doute – Trouvez donc bon aussi que je ferme la mienne. C’était parler en digne héritier de Louis XIV.
Votre admirable formule d’abjuration a le mérite de la franchise, et de la netteté d’expression: mais c’est ici qu’il est permis a tout le monde de vous accuser de plagiat. Après dix ans de révolution, vous n’êtes pas le seul qui ait pris le parti d’abjurer. Personne ne l’a fait par des motifs aussi elevés, et sur des considérants aussi forts. Ne craignez vous pas qu’un philosophe qui dégage ainsi les hommes de la foi a la philosophie, n’encourage singulièrement
[4] les convictions qu’un bureau de tabac ébranle, et, qu’émeuvent les arguments irrésistitibles d’une perception de droits réunis! M. le Maréchal président du Conseil dans les beaux temps de sa gloire militaire, ou il comptait ses tableaux et ses exploits qui s’augmentaient de jour en jour, disait volontiers aux jeunes officiers qui se laissaient prendre à faire en secret ce qu’il faisait sur la grande échelle: C’est des choses que quand on les fait, qu’il ne faut pas les dire. J’affectionne cette phrase qui a toute l’energie d’un langage échappé aux règles de cette académie que vous maudissez: et je suis tenté d’écrire au dehors de votre telle formule d’abjuration: C’est des choses que quand on les pense, qu’il ne faut pas les dire. Aussi je l’ai serré précieusement dans mon tiroir, au milieu de cette collection qui, grace à votre bonté, et à dix ans de votre bienveillance devient aussi nombreuse qu’elle est variée et curieuse.
J’aurais trop long temps à écrire, si je voulais répondre à tous vos aimables envois: vous avez trouvé le seul moyen dont je puisse m’acquitter.
Lisez en, usez de [1] moi, et croyez à ma reconnaissance dévouée.
A. B.
×