Mon illustre patron et ami,
Je vous ai expédié ma réponse le 23 Avril, telle que vous lʼavez demandée ou plutôt commandée. Comment résister aux instances du plus spirituel et du plus aimable des rois?
Je vous aurais déjà fait une seconde dépêche, si mon secrétaire qui est ma main droite, nʼétait pas absent.
Quelques jours avant la réception de votre lettre M. de Bethmann-Hollweg mʼavait fait des ouvertures semblables. Je lui ai articulé mes griefs contre le Comité, je lʼai mis au fait de tout et je me tiens assuré quʼil en aura fait un bon usage. Je lui ai fourni aussi copie de quelques pages sur le style français de Frédéric le Grand, qui auront déjà passé sous vos yeux. Cʼest, pour [2] ainsi dire, ma profession de foi.
Il est vrai que Boeckh dans sa première lettre mʼa proposé dʼécrire la préface, mais cʼétait comme de son propre chef. Je nʼai pas refusé, jʼai seulement dit quʼil fallait achever beaucoup de travaux avant dʼy penser. Plus tard (le 4 Mai) il a renouvelé la même proposition. Mais après que ce Comité tudesque mʼeut traité de Turc à Maure, après quʼil eut méconnu mes droits les plus incontestables, je me suis dit:
– – odi Danaos et dona ferentes.
Jʼai vraiment fait preuve dʼune patience de saint. A la fin, voyant que ma position, nʼétait pas tenable vis-à-vis de ces gens qui, malgré leur incapacité, se targuent de leur omnipotence parlementaire, jʼai adressé une pétition, au ministre, dans laquelle jʼai encore usé de modération. Au lieu de porter plainte, je me suis borné [3] à alléguer comme un obstacle invincible mon éloignement.
Je vous prie de lire mon analyse des variantes contenues dans le second volume de lʼHistoire de mon temps. Lors de votre passage à Berlin le cher Boeckh qui est plein dʼartifices, lʼa soustraite à votre connaissance sous prétexte que ces deux cahiers circulaient auprés des membres du Comité, comme sʼil nʼavait pas pu les faire rentrer à lʼinstant. Cʼétait une fin de non recevoir à laquelle vous avez cédé trop facilement. Vous étiez en mesure dʼexiger impérativement toutes les communications. Dès le commencement vous auriez dû être nommé directeur de cette entreprise: elle en serait plus avancée aujourdʼhui.
Vous mʼexhortez à prendre tout de suite la plume. Je le ferai au plus tôt, mais dans ce moment cʼest impossible: [4] Je manque de matériaux. Comment puis-je parler pertinemment dʼun vaste recueil, sans savoir ce quʼil contient? Or, Boeckh a annoncé dans les journaux à son de trompe, que le Comité était nanti de plusieurs morceaux inédits fort importants; mais il ne mʼen a communiqué aucun.
En lisant les articles sur les immenses travaux du susdit Comité, jʼai failli mourir de rire, parce que jʼavais vu cela de prés. Comme cʼest lʼusage aujourdʼhui dʼattirer lʼattention du lecteur aux petites affiches par des vignettes gravées en bois, il eût été à propos de figurer au-dessus de ces annonces douze postillons sonnant du cor. Avec cela Boeckh mʼavait enjoint de garder strictement le secret. Jʼai pu mʼy conformer sans peine, car je ne savais rien de rien. Le Comité a-t-il fixé [5] un plan, et quel est ce plan? Quʼa-t-il fait jusquʼici? que fait-il actuellement? et que fera-t-il? Je parie, rien qui vaille, sʼil est réduit à ses propres forces.
Il est bien difficile dʼobtenir en Allemagne une réimpression correcte dʼun texte français. Voulez-vous des exemples frappants? En voici.
In dem Briefwechsel mit Algarotti werden Sie eine Schuhsohle statt eines Weibsbildes finden; bei Preuß in einem Originalbriefe Kerker statt des Rüttelns im Wagen; ja sogar in der authentischen Quartausgabe der Poésies diverses krächzen einmal die Frösche, woraus unausbleiblich folgen würde daß die Raben quaken.
Tout le monde aura lu avec intérêt le discours académique de M. de Raumer; mais il lui est échappé une étrange bévue dans une citation. A-t-elle été [6] relevée à Berlin? Dans le cas contraire M. de Raumer a trouvé des lecteurs plus attentifs en province que dans la capitale. Voyez ci-joint la note dʼun anonyme.
Bref, le Comité ne sait pas le français; il ne se doute pas même que cette connaissance indispensable pour un éditeur lui manque. Or, si vous me permettez de mʼexprimer dans le goût dʼun certain Ackermann, lʼignorance sui-ignorante est la pire de toutes.
Jʼimplore votre protection, mon cher patron, dont jʼai grandement besoin. Soyez lʼancre de salut de la barque de St-Frédéric qui risque de chavirer par lʼinexpérience du pilote et la paresse de ses matelots. Il me faut des renseignements et des livres que je ne trouve pas ici.
Recommandez-moi à M. Pertz.
A demain! Votre très-dévoué
Schlegel
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