• Michel François Littré to August Wilhelm von Schlegel

  • Place of Dispatch: Paris · Place of Destination: Unknown · Date: 25.11.1822
Edition Status: Single collated printed full text without registry labelling not including a registry
    Metadata Concerning Header
  • Sender: Michel François Littré
  • Recipient: August Wilhelm von Schlegel
  • Place of Dispatch: Paris
  • Place of Destination: Unknown
  • Date: 25.11.1822
  • Notations: Empfangsort erschlossen.
    Printed Text
  • Bibliography: Baldensperger, Fernand: Lettres inédites de Littré et de son père à A. W. Schlegel. In: Mélanges de philologie Romane et d'histoire littéraire offerts à M. Maurice Wilmotte. 1. Teil. Paris 1910, S. 43‒45.
  • Incipit: „[1] Paris, 25 novembre 1822.
    Monsieur,
    La bonté avec laquelle vous avez accueilli ma prière pour mon fils, m’a touché jusqu’aux larmes. Vous [...]“
    Manuscript
  • Provider: Dresden, Sächsische Landesbibliothek - Staats- und Universitätsbibliothek
  • OAI Id: DE-611-34965
  • Classification Number: Mscr.Dresd.e.90,XIX,Bd.14,Nr.78
  • Number of Pages: 2 S., hs. m. U.
  • Format: 24,2 x 18,5 cm
    Language
  • French
[1] Paris, 25 novembre 1822.
Monsieur,
La bonté avec laquelle vous avez accueilli ma prière pour mon fils, m’a touché jusqu’aux larmes. Vous verrez sa lettre, pleine de respect et de reconnaissance, pour le savant illustre qui ne dédaigne pas d’encourager et de guider ses premiers pas dans une carrière difficile. Mais croyez bien, je vous en supplie, que c’est moi seul qui suis cause du retard apporté dans sa réponse; moi qui, occupé, durant douze heures par jour et six fois par semaine, de travaux étrangers aux sciences, ne puis donner que par intervalle quelques heures à l’étude et à l’accomplissement des devoirs indispensables de la société…
Vos conseils sont et seront ponctuellement suivis; ils le seront, dis-je, autant que le permettront les travaux multipliés, que la nécessité de se faire un état et son goût pour les études philologiques ont imposées à mon fils. Nous avons la grammaire de Wilkins; nous aurons le Dictionnaire de Wilson dans le cou rant de janvier; et nous ne manquerons pas de rétablir sur notre exemplaire les omissions et de rectifier les erreurs que vous avez relevées dans le troisième volume de votre Bibliothèque, que je me fais lire par mon fils. De grâce donnez ordre à votre libraire de nous expédier le Bhagavadgita, dès qu’il aura paru. Comptez qu’aucun souscripteur ne sera plus exact que moi à en payer le prix; et daignez en user de même pour tous les ouvrages qui sortiront de votre plume.
J’ai lu avec un grand intérêt l’introduction que vous vous proposez de mettre en tête du nouvel ouvrage que vous annoncez sur l’étude des étymologies; et rien n’a plus vivement excité ma curiosité que d’entrevoir la possibilité de remonter, par la comparaison des langues, à une langue commune, de laquelle les langues pélasgiques et germaines, les langues latine et grecque, la très antique langue des Brahmes, seraient dérivées comme autant de ruisseaux, qui auraient coulé, sous des directions diverses, d’une source commune. Mais où trouver le peuple précurseur de tout ce que nous connaissons de plus reculé? Et à quelle antiquité n’appartient-il pas, s’il faut lui attribuer le système grammatical que vous retrouvez dans le poème composé par Valmiki en l’honneur de Rama, dans un temps qui paraît antérieur à tous les souvenirs historiques? système déjà si complet à cette époque [2] fabuleuse que les travaux des siècles postérieurs jusqu’au temps de Calidasa, contemporain de Cicéron, n’y ont rien ajouté.
Des faits relatifs à l’état du ciel et à la mesure de la terre, avaient persuadé à quelques savants que ces faits, épars et défigurés, étaient les débris d’une science très avancée, qui s’était perdue en même temps que le peuple qui la possédait avait disparu de la surface de la terre. Votre conjecture fortifierait la leur, qui semble tirer aussi quelque appui de la présence et du retrait alternatif des eaux de la mer, qu’on a constatés dans le bassin de la Seine et sur d’autres points, lorsque la mémoire des révolutions, que ces retours supposent, n’existe pas même dans la tradition. Tout cela, je le sais, ne repose que sur des conjectures; mais les conjectures peuvent être plus ou moins probables; et ce que l’on décore du nom imposant de certitude, qu’est-il le plus souvent, sinon une très probable conjecture?
Pardonnez-moi, homme illustre, cet écart où m’a entraîné le plaisir de suivre vos vues. Je reviens à l’étude du sanscrit. Certainement mon fils persévéra dans son entreprise; les difficultés sont un aiguillon bien plus qu’un obstacle. Mais nous n’avons pas assez de secours ici. M. de Chézy n’a pas encore commencé son cours. Les fragments du Ramayana et du Ragowansa, que va faire imprimer notre Société Asiatique, se réduisent à vingt-cinq pages de Dévanagari. Nous n’avons point la ressource des leçons particulières. Nos progrès ne peuvent donc qu’être fort lents, surtout quand un jeune homme est obligé de faire passer devant ou tout au moins marcher de front les études par le succès desquelles il doit se faire un état... Quand mon pauvre enfant sera-t-il en état de vous soumettre quelques essais? Daignez lui conserver votre bienveillance, et nous permettre de nous y recommander de loin en loin. Daignez l’honorer de vos ordres; et son empressement à y satisfaire vous montrera combien il tient à cœur de mériter l’intérêt que vous avez bien voulu lui témoigner.
Agréez, Monsieur, mes vifs remerciements, et l’assurance de ma haute considération et de la vénération avec laquelle j’ai l’honneur d’être
Votre très humble et très obéissant serviteur,
M.-F. LITTRÈ,
rue des Maçons Sorbonne, n˚ 3.
[1] Paris, 25 novembre 1822.
Monsieur,
La bonté avec laquelle vous avez accueilli ma prière pour mon fils, m’a touché jusqu’aux larmes. Vous verrez sa lettre, pleine de respect et de reconnaissance, pour le savant illustre qui ne dédaigne pas d’encourager et de guider ses premiers pas dans une carrière difficile. Mais croyez bien, je vous en supplie, que c’est moi seul qui suis cause du retard apporté dans sa réponse; moi qui, occupé, durant douze heures par jour et six fois par semaine, de travaux étrangers aux sciences, ne puis donner que par intervalle quelques heures à l’étude et à l’accomplissement des devoirs indispensables de la société…
Vos conseils sont et seront ponctuellement suivis; ils le seront, dis-je, autant que le permettront les travaux multipliés, que la nécessité de se faire un état et son goût pour les études philologiques ont imposées à mon fils. Nous avons la grammaire de Wilkins; nous aurons le Dictionnaire de Wilson dans le cou rant de janvier; et nous ne manquerons pas de rétablir sur notre exemplaire les omissions et de rectifier les erreurs que vous avez relevées dans le troisième volume de votre Bibliothèque, que je me fais lire par mon fils. De grâce donnez ordre à votre libraire de nous expédier le Bhagavadgita, dès qu’il aura paru. Comptez qu’aucun souscripteur ne sera plus exact que moi à en payer le prix; et daignez en user de même pour tous les ouvrages qui sortiront de votre plume.
J’ai lu avec un grand intérêt l’introduction que vous vous proposez de mettre en tête du nouvel ouvrage que vous annoncez sur l’étude des étymologies; et rien n’a plus vivement excité ma curiosité que d’entrevoir la possibilité de remonter, par la comparaison des langues, à une langue commune, de laquelle les langues pélasgiques et germaines, les langues latine et grecque, la très antique langue des Brahmes, seraient dérivées comme autant de ruisseaux, qui auraient coulé, sous des directions diverses, d’une source commune. Mais où trouver le peuple précurseur de tout ce que nous connaissons de plus reculé? Et à quelle antiquité n’appartient-il pas, s’il faut lui attribuer le système grammatical que vous retrouvez dans le poème composé par Valmiki en l’honneur de Rama, dans un temps qui paraît antérieur à tous les souvenirs historiques? système déjà si complet à cette époque [2] fabuleuse que les travaux des siècles postérieurs jusqu’au temps de Calidasa, contemporain de Cicéron, n’y ont rien ajouté.
Des faits relatifs à l’état du ciel et à la mesure de la terre, avaient persuadé à quelques savants que ces faits, épars et défigurés, étaient les débris d’une science très avancée, qui s’était perdue en même temps que le peuple qui la possédait avait disparu de la surface de la terre. Votre conjecture fortifierait la leur, qui semble tirer aussi quelque appui de la présence et du retrait alternatif des eaux de la mer, qu’on a constatés dans le bassin de la Seine et sur d’autres points, lorsque la mémoire des révolutions, que ces retours supposent, n’existe pas même dans la tradition. Tout cela, je le sais, ne repose que sur des conjectures; mais les conjectures peuvent être plus ou moins probables; et ce que l’on décore du nom imposant de certitude, qu’est-il le plus souvent, sinon une très probable conjecture?
Pardonnez-moi, homme illustre, cet écart où m’a entraîné le plaisir de suivre vos vues. Je reviens à l’étude du sanscrit. Certainement mon fils persévéra dans son entreprise; les difficultés sont un aiguillon bien plus qu’un obstacle. Mais nous n’avons pas assez de secours ici. M. de Chézy n’a pas encore commencé son cours. Les fragments du Ramayana et du Ragowansa, que va faire imprimer notre Société Asiatique, se réduisent à vingt-cinq pages de Dévanagari. Nous n’avons point la ressource des leçons particulières. Nos progrès ne peuvent donc qu’être fort lents, surtout quand un jeune homme est obligé de faire passer devant ou tout au moins marcher de front les études par le succès desquelles il doit se faire un état... Quand mon pauvre enfant sera-t-il en état de vous soumettre quelques essais? Daignez lui conserver votre bienveillance, et nous permettre de nous y recommander de loin en loin. Daignez l’honorer de vos ordres; et son empressement à y satisfaire vous montrera combien il tient à cœur de mériter l’intérêt que vous avez bien voulu lui témoigner.
Agréez, Monsieur, mes vifs remerciements, et l’assurance de ma haute considération et de la vénération avec laquelle j’ai l’honneur d’être
Votre très humble et très obéissant serviteur,
M.-F. LITTRÈ,
rue des Maçons Sorbonne, n˚ 3.
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