Monsieur
J’ai reçu vos deux lettres ainsi que l’exemplaire de l’Hitopadesa que vous avez bien voulu m’adresser et pour lequel je vous prie d’agréer mes remercimens. J’ai été très sensible à l’honneur que vous m’avez fait en m’envoyant ce bel ouvrage, je me suis mis de suite à l’examiner, et j’ai éprouvé le plus grand plaisir en le lisant. La correction en est parfaite; votre errata qui ne comprend qu’une vingtaine de fautes très légères m’a paru à peu près complet. La disposition est excellente; l’idée que vous avez eue d’indiquer en marge et au haut de la page chaque fable, de numéroter les lignes de chaque page et d’établir pour tous les vers de chaque livre une serie de numéros est très heureuse, elle rendra l’ouvrage commode et sera fort utile pour les citations. Je ne dois pas moins d’éloges à la critique qui a présidé à la rédaction de votre texte; Le manuscrit que vous avez eu entre vos mains vous a fourni de bonnes variantes; tous les vers defectueux (et les éditions de Serampour et de Londres en offraient un grand nombre surtout dans le metre Arya) ont été restitués, ou rejetés pour être sans doute discutés dans les notes, et vous avez écarté plusieurs Stances introduites mal à propos dans le texte. Je ne regrette qu’une chose c’est que vous n’ayez pas adopté pour systême de mettre sur quatre lignes les vers tels que l’Indravajra l’Upendravajra, l’Upadjati &c, comme vous avez fait pour le Mandracranta, le harini &c. Cette disposition est plus réguliere et elle me paroit en outre préférable en ce qu’elle permet de saisir plus facilement le sens, et que quatre lignes courtes sont plus agréables à l’oeil que deux lignes très longues. M. Chézy [2] partage entierement cette opinion ainsi que vous le verrez dans le texte de Sacontala dont la publication longtems retardée par la santé si déplorable de mon respectable maitre, aura lieu très certainement au commencement du printems. Je sais depuis longtems que M. de Chézy se propose de vous en offrir un exemplaire, persuadé qu’il ne peut pas soumettre son travail à un juge plus capable d’en apprecier le mérite. Je lui ai annoncé que vous lui aviez adressé un exemplaire de votre Hitopadesa, et il m’a chargé de vous en remercier, en attendant qu’il vous écrive lui même, mais il n’a pas encore reçu votre envoi, et vous feriez peutêtre bien de prendre quelques informations à ce sujet.
J’ai aussi des remercimens à vous faire pour les observations que vous m’avez communiquées sur mon édition des lois de Manou, mais avant d’entrer dans quelques détails la dessus, je dois vous faire connaitre quelles ont été mes intentions et mes vues en commerçant ce travail. Je suis fort jeune encore et je n’avois que trois années d’étude de Sanskrit, lorsque j’ai eu l’idée d’entreprendre une édition des lois de Manou. Venant après un homme aussi recommandable que M. Haughton, j’ai cru que je ne devois pas me permettre de changer légèrement son texte, et d’y introduire soit de nouvelles leçons prises dans les manuscrits, soit des corrections de ma façon, ce qui auroit pu être traité de hardiesse déplacée et de prèsomption vu ma jeunesse et mon inexpérience. Je me suis donc astreint à conserver autant que possible le texte de Londres, me reservant d’offrir dans les notes des conjectures sur les passages qui me paroissent devoir être corrigés, ce que je ne manquerai pas de faire. Enfin, mon travail s’est borné à rectifier les fautes typographiques que M. Haughton avoit laissé echapper, à adopter quelques leçons en très petit nombre dans des endroits ou je l’ai cru nécessaire, et à separer les mots suïvant le systême qui m’a paru le plus convenable. J’ai vu avec plaisir que mon opinion sur ce point était absolument conforme à la vôtre, et que vous n’approuviez nullement l’orthographe de M. Bopp. Je regrette bien qu’un savant aussi distingué que M. Bopp ait adopté un aussi mauvais systême, et j’espere que [3] cette malheureuse tentative n’aura pas d’imitateurs. Permettez moi maintenant de vous entretenir un instant sur quelques unes des observations que avez bien voulu m’adresser.
Chap. I. Sl.90. l’édition de Calcutta, celle de Londres et les deux manuscrits que j’ai à ma disposition portent nityaṃ et non ’nityaṃ comme vous proposez de lire. Ce passage m’a toujours paru obscur, mais prenant le commentaire pour guide j’avois compris nityaṃ satatayāyini comme exprimant l’idée d’un univers composé d’êtres qui par une révolution continuelle, se détruisent et se renouvellent sans cesse.
Chap. II. Sl. 101. Je regrette beaucoup de ne pas avoir adopté votre opinion qui me parait seule admissible.
Sl. 195. Votre correction me semble très judicieuse; et ce passage, comme les mss. le donnent est inintelligible, mais j’ai du suivre les autorités.
Sl [...]29. J’avois déja remarqué comme vous l’intercallation [...]e de l’a privatif entre deux prépositions, et j’avois [...] qu’il fallait peutêtre lire tair anvabhijñāto.
Chap. [...] 129. Votre correction me parait très plausible, mais non d’une nécessité absolue: tous les mss. donnent bhojayet.
Chap. IV 48. Les éditions et les mss. portent vāvyagni.
Sl. 173. J’avois fait la même remarque, mais toutes les autorités sont d’accord, et d’ailleurs on en trouve un autre exemple, je ne sais plus dans quel endroit.
Chap. VI, 38. Le commentaire de Baghavananda répete sarvvavedasadakṣiṇāṃ et l’explique par sarvvasvadakṣiṇāṃ. Mais le passage ne m’en parait pas moins très obscur.
Votre correction de pariśuṣyati pour Bhartrihari me parait excellente mais vous savez que pour cette publication j’en ai eu à ma disposition que la detestable édition de Serampour.
Mon édition de Manou n’est pas aussi correcte que je l’aurais desiré, malgré le soin que j’ai mis à relire cinq et six fois les épreuves, et j’ai peutêtre trop suivi le texte de M. Haughton; mais le peu de temps que j’ai mis a faire mon travail sera pour moi une excuse, si toutefois la précipitation est une [5] excuse valable. Des raisons qu’il serait trop long d’énumerer m’obligeoient à me presser, et en six mois j’ai imprimé mon texte que je copiais en même temps. Je travaille dans ce moment à ma traduction et à mes notes, et j’espère avoir terminé le tout vers le mois de juillet de l’année prochaine. Je vous l’adresserai aussitot, et je compte joindre à mon envoi un exemplaire destiné à M. le docteur Lassen. Je réclame d’avance votre indulgence pour cette seconde partie de mon travail; elle présente beaucoup de difficultés, je ne me flatte pas de les surmonter toutes et je desire bien qu’on ne me juge pas trop sévèrement. Au reste tout ce que je puis souhaiter à cet égard, c’est de trouver chez les savans qui examineront mon ouvrage autant de bienveillance que vous m’en avez temoigné. Veuillez agréer l’assurance du respect et la parfaite considération avec lesquels j’ai l’honneur d’être
Votre très humble et très obeissant serviteur
Auguste Loiseleur Deslongchamps
[4] A MonSieur
MonSieur Guillaume de Schlegel
professeur à l’université royale
Prussienne du Rhin
a Bonn.
[6] [leer]