Paris le 4 novembre, 1827.
Le Secrétaire de la Société, Membre de l’Institut Royal de France,
Monsieur,
Il y a longtems que je Vous dois des remercimens pour les différentes parties de Vos ouvrages que Vous avez eu la bonté de m’envoyer, ainsi que pour le plaisir que Vous m’avez fait en me procurant la connoissance de plusieurs Savans egalement distingués par leur savoir et par leur qualités aimables. En dernier lieu, il m’a été infiniment agréable de voir M. Welcker qu’une si haute réputation avoit précédé parmi nous, et qui se montre à mon gré supérieur à sa réputation. On voit rarement tant de lumières jointes à une si grande modestie. Je l’ai ecouté avec un plaisir tout particulier quand il m’a entretenu de Vous et de Vos travaux. Je me suis réjoui surtout d’apprendre que malgré une diversion qui avoit allarmé tous les amis de la littérature orientale, Votre grand monument indien continuoit à s’elever, sans que l’immensité d’une pareille tache puisse ebranler Votre courage [2] ou lasser Votre persévérance. Les indianistes de ce pays ne se piquent pas en général de cette double vertu, et leur chef ne se soucie pas de leur en montrer l’exemple. Toutefois il se propose de démentir Vos prévisions, et, comme je crois Vous l’avoir déja mandé, Vous Vous serez trompé en raisonnant juste. Trois actes de la nouvelle traduction de Sacontala sont déja terminés, et les autres doivent les suivre de près. Beaucoup de persones avoient pensé qu’en attendant cet heureux achèvement qui pourroit bien encore tardé quelques années, le texte sanscrit dont l’impression a couté cher à la Société Asiatique fut mis en vente pour la couvrir de ses frais, et servit ainsi aux progrès des etudians. Mais on a craint que les corrections de l’editeur ne fussent perdues pour sa gloire, et notamment que la transcription des passages proscrits qui a causé tant de peines et exigé tant de méditations, ne devienne la proye de quelque plagiaire qui nous en enleveroit le mérite et la récompense. Voila une partie de ce que nous craignons, car ces Savans allemands vont si vite et entreprennent tant de choses, qu’on ne sauroit prendre trop de précautions contre des gens qui sont capables de tout.
Vous devez, Monsieur, en poursuivant Vos nobles et Vastes entreprises, Voir ces petitesses avec un profond dédain; et je suis peu surpris que Vous n’y fassiez aucune attention. Vous resérvez la Votre à de plus dignes objets. Seroit-ce une indiscrétion que de Vous prier d’en accorder un peu au nouveau Journal Asiatique qui va paroitre, ou plutôt au Journal Asiatique qui va prendre [3] un nouveau développement avec un peu plus d’etendue, au commencement de l’année prochaine? Si quelque morceau de Vous, sur un sujet de quelconque pouvoit montrer au public que Vous prenez quelqu’interêt à notre publication, j’en regarderois le succès comme garanti d’autant près du public eclairé. Dans le cas où Vos nombreuses occupations ne Vous permettroient pas de nous favoriser à ce point, Voudriez Vous enganger quelqu’un de Vos elèves à nous envoyer soit des fragmens de traduction, soit de petites dissertations philosophiques ou littéraires sur les sujets que Vous leur enseignez? Je n’ai pas besoin de Vous dire que tout ce qui nous viendroit de Vous et de Votre ecole seroit reçu avec empressement et publié sans aucune de ces restrictions qu’une envieuse malignité voudroit y mettre.
Recevez, je Vous prie, le nouvel hommage de ma vive admiration ainsi que des sentimens les plus distingués avec lesquels je suis,
Monsieur,
Votre très humble & très obéissant serviteur,
JP. Abel-Rémusat
[4] [leer]