[1] Il y a bien long tems, cher ami, que je suis sans nouvelles de vous. Notre long silence m’attriste, j’ai besoin d’être au fait de votre destinée, et je suis persuadée que vous éprouvez la même chose à mon égard. Je suis depuis deux mois établie à Broglie. Nous y avons été troublés par une grande anxieté. Notre ancien ami et le vôtre, Mr de Chateauvieux, est venu pour nous voir, et il a été frappé d’apoplexie à deux lieues de Broglie. Graces à Dieu, il s’est remis après deux mois de maladie, et j espère qu’il recouvrera tout à fait la santé, n’ayant jamais perdu ses facultés intellectuelles. Il y a bien peu de distance entre notre vie et l’éternité! Dieu veuille que nos coeurs soyent preparés pour la rencontre de notre Juge, qui est [2] aussi notre père heureusement. La santé de ma fille s’est tout à fait remise à la campagne, et comme elle a un excellent mari, qu’elle aime beaucoup, elle a repris par degrés toute sa serenité. Ils vont bientôt partir pour l’Italie, où ils passeront l’hyver. Albert continue a bien travailler au college, et Paul se fortifie et se développe. Je ne suis pas aussi contente de la santé de ma soeur, qui est bien affoiblie par ses longs chagrins.
Mr Doudan fait toujours de très spirituels articles dans la Revue Francoise je ne sais pas s’ils vous sont tombés sous les yeux. Il va en faire un sur le cours de Mr Villemain, qui est une lecture charmante. Avez vous entendu parler du troisieme volume de Mde Necker [3] sur la vie des femmes? L’avez vous lu? Je vous engage à le lire. C’est un ordre d’idées et de sentimens que vous approuverez. Les chapitres sur la vieillesse sont d’une grande beauté. Notre politique est entièrement plate. Le pays semble endormi sous un ministère qui ne le réveillera pas. Adieu, cher ami, do[nnez] moi aussi de vos nouvelles et ne cessons pas de nous aimer pour le tems et l’éternité.
Staël de Broglie
Broglie 28 Juillet
Eure
[4] Monsieur
A. W. de Schlegel.
Chevalier de plusieurs ordres
à Bonn
Province Prussienne du Rhin