Monsieur,
J’ai été foudroyé en effet, comme vous l’aviez demandé à Mde. de Staël par votre derniere lettre; mais très injustement foudroyé, car je savois que vos hôtes vous avoient écrit et j’attendois de mon côté des nouvelles de Paris sur les articles relatifs à l’histoire de France - je voulois vous envoyer les programmes que vous m’aviez demandés - je ne reçois point ces programmes et ne veux pourtant pas quitter Coppet sans vous dire quel souvenir reconnaissant j’ai emporté de Bonn - et combien j’ai trouvé de charme dans cette vie élégante, animée et savante à la fois que vous avez bien voulu me permettre de voir de près. J’imagine que c’est ainsi que vivaient les grands esprits d’Athènes dans les plus beaux temps de leur civilisation. Mais ces grands esprits ne cultivoient point le sanskrit et ne doutoient point du Ramayana. Je doute fort que leur conversation eût l’étendue, l’éclat et la finesse des conversations que j’ai entendues dans un charmant salon où l’on voit les plus beaux paysages de l’Inde et où l’on entend les esprits les plus brillans de l’Europe. Je ne pense pas non plus que le vin de leurs îles valut le vin de champagne du Rhin. Je serois bien fâché de n’avoir pas l’espérance de retourner quelque jour à Bonn et à voir le plaisir que l’on a trouvé dans ce voyage Je suis certain qu’on le recommencera quelque jour avec votre permission -
J’ai vécu ici entre le lac de Genève et le Gange - tantôt fesant des courses sur l’eau avec Albert, tantôt revenant à la lecture du Ramayana qui me charme - Je ne soupçonnois pas qu’on pût conserver dans une traduction latine sévèrement exacte, tous les beaux reflets d’un soleil étranger et d’une civilisation qui n’est plus - Je garantis la fidélité de la traduction sans rien savoir du reste. Il y a là un air qui ne circule que dans les grandes forêts où Rama erroit en exil. il est probable [2] que dans une vie antérieure vous avez habité les bords du Gange et vous étiez certainement dans la classe la plus éclairée des Brahmanes -
Toute la famille de M. de Broglie est bien. M. de B. part ce soir pour Paris. nous l’accompagnons Albert et moi. Mde de B. partira seulement au commencement de la semaine prochaine. tout le monde me demande de vous dire mille tendres amitiés.
Permettez moi d’y ajouter l’expression de mon respectueux attachement.
Serez vous assez bon pour agréer l’hommage de mon respect à Madame votre mère. Je voudrois bien que M. Lassen me donnoit quelques commissions pour Paris. Je serois très heureux de lui être utile à quelque chose quand il aura besoin de faire à Paris quelque recherche de livres qui n’exigeât que du zèle. J’ai été bien frappé par la supériorité de son entretien. Jaurois beaucoup mieux aimé passer trois mois que trois jours à Bonn -
X Doudan
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[1] Répondu le 22 Janvier 35.